Pendant combien de temps le Gérant peut-il être poursuivi pour une faute ?

  • Article publié le 19 mars 2012

Jusqu'ici, on pensait que le délai de prescription n'était pas le même selon que le Gérant commettait une faute dans l'exercice de ses fonctions, ou selon qu'il s'agissait d'une faute dite « séparable de ses fonctions ». Les juges de la Cour de Cassation viennent de trancher...

Faute de gestion et faute séparable des fonctions

On sait que, selon le Code de la SARL (art. L.223-22 CC), le Gérant est responsable, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion.

Cependant, il ne peut dans ce cas être poursuivi que par les associés de la société elle-même. Les tiers quant à eux, s'ils souhaitent poursuivre le Gérant personnellement, doivent démontrer que le préjudice qu'ils ont subi résulte non seulement d'une faute personnelle de celui-ci, mais également d'une faute séparable de ses fonctions.

Le problème est que la notion de « faute séparable des fonctions » n’est pas définie par la loi. Mais selon les tribunaux, il ne peut s’agir que d’une faute d’une particulière gravité, commise intentionnellement, et incompatible avec l’exercice normal des fonctions de Gérant.

Exemples : commet une faute séparable de ses fonctions le Gérant qui fait réaliser des travaux à l’origine de malfaçons alors que ce type de travaux n’entrait pas dans l’objet social et qu'il n'avait pas souscrit l’assurance requise. Même chose pour un gérant qui trompe volontairement un fournisseur sur la solvabilité de sa société, afin de bénéficier de livraisons qu’il n’aurait pas obtenues autrement.

Prescription

On sait là encore que, selon l'article L.223-23 du code précité, l'action en responsabilité qui peut être intentée contre un Gérant qui commet une faute dans l'exercice de ses fonctions se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.

Attention : lorsque le fait est qualifié crime, l'action se prescrit par dix ans.

Mais qu'en est-il en revanche pour une faute séparable des fonctions ? Voici ce que vient de décider la Cour de cassation à ce sujet.

L'affaire

Une SARL n'a pas versé les redevances SPRE (redevances pour diffusion de musique) dont elle était redevable. Elle est donc poursuivie à ce titre, mais aussi son Gérant au motif que le non paiement de ces sommes s'étant répété durant de nombreuses années, il avait commis une faute intentionnelle et d'une telle gravité que celle-ci devait être considérée comme séparable de ses fonctions.

Les tribunaux

Les tribunaux font bon droit aux demandeurs, condamnant la SARL et son Gérant à payer solidairement les redevances dues, soit une somme de près de 80.000 €. Ce jugement est ensuite confirmé par la Cour d'Appel, celle-ci estimant en outre que la prescription triennale ne peut s'appliquer dans ce cas puisqu'il s'agit d'une faute séparable des fonctions.

Erreur ! disent les juges de la Cour de cassation. Non pas qu'ils contestent le fait que le Gérant a commis une faute séparable des fonctions, mais ils considèrent en revanche qu'une telle faute bénéficie elle aussi  de la prescription triennale prévue par l'article L.223-23 du Code de commerce.

Conclusion : un tiers ne peut engager une action en responsabilité contre le Gérant personnellement que s'il peut prouver que son préjudice résulte d'une faute de celui-ci séparable de ses fonctions, et à condition que cette faute ne remonte pas à plus de trois ans.

Source : Cour de cassation, ch. Civile, pourvoi n° 09-69594, audience du 9 février 2012.