Jurisprudence : le Gérant victime d'une révocation brutale a droit à des dommages-intérêts même s'il exerçait sa fonction sans être rémunéré

  • Article publié le 11 juil. 2023

En effet, même si la révocation n'entraîne aucun préjudice financier, elle peut entraîner un préjudice moral.

L'affaire

A l'origine de l'affaire, la mort de deux associés prépondérants d'une SARL et une succession qui se déroule mal. Très mal même, les héritiers ne parvenant pas à s'entendre sur la manière de gérer la société.

Dans un premier temps, c'est le fils de l'un des associés décédés qui est nommé Gérant de droit sans rémunération. Mais l'ambiance étant de plus en plus délétère, il est brutalement révoqué 5 ans plus tard et réclame en justice 30.000 € de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Il expose en effet à l'appui de sa demande que :

  • il n'a pas eu connaissance, préalablement à la décision, ni de la procédure de révocation de ses fonctions de gérant et des motifs de celle-ci dont il n'est fait état ni à l'ordre du jour ni dans le procès-verbal ;
  • il n'a pas été convoqué à une quelconque réunion ou assemblée ayant pour finalité de statuer sur sa révocation ;
  • et il n'a pas été en mesure de présenter d'éléments en défense, soutenant ne pas avoir eu connaissance des griefs qui lui étaient reprochés.

Il en conclut donc que sa révocation a été décidée brutalement, sans respect du principe de la contradiction et des formes prescrites, qu'elle a été décidée sans juste motif, et qu'elle est en outre intervenue dans des circonstances particulièrement vexatoires, humiliantes et brutales, compte tenu du contexte familial.

Autant de circonstances qui lui ont fait subir un préjudice moral évident et ce d'autant plus qu'il exerçait ses fonctions de gérant de longue date au côté de son père, sans que personne ait formulé la moindre observation ou critique lorsqu'il a pris sa succession, sans rémunération.

Les juges

En première instance, il est débouté de sa demande au motif que, même s'il était avéré que la procédure contradictoire de révocation n'avait pas été respectée, le fait qu'il avait choisi de ne pas être rémunéré était de nature à écarter tout préjudice en cas de révocation abusive.

Mais la Cour d'appel n'est pas d'accord.

Elle constate en effet de son côté que la perte de confiance entre les associés et le Gérant, ainsi que les conflits qui les opposent, sont avérés au regard des éléments du dossier, et que le juste motif de révocation est par conséquent caractérisé.

Cependant, elle constate également que, dès lors que la procédure de révocation n'a pas respecté le principe du contradictoire, il en résulte que celle-ci a été brutale et vexatoire et qu'elle est à l'origine d'un préjudice moral certain pour l'intimé, quand bien même il n'était pas rémunéré de ses fonctions de gérant.

Le Gérant n'obtiendra pas les 30.000 € qu'il demandait, mais il se verra tout de même attribuer une somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts.

Source : Cour d'appel de Versailles, 21 mars 2023, RG n° 20/0596.