Jurisprudence : le dirigeant ne peut plus être condamné à régler le passif de sa société au motif qu’il n’a pas déposé le bilan dans le délai de 45 jours

  • Article publié le 2 mars 2021

Voici une décision inédite de la cour de cassation, qui constitue plutôt une bonne nouvelle pour les dirigeants sans cesse tiraillés entre l’obligation d’avoir à déposer le bilan sans attendre et la nécessité de retarder ce moment pour tenter de sauver leur société.

L’affaire

Cette affaire repose principalement sur la façon d’interpréter une nouvelle disposition introduite dans le code de commerce par la loi Sapin 2 de décembre 2016, disposition selon laquelle la responsabilité d’un dirigeant de société au titre d’une insuffisance d’actif ne peut plus désormais être engagée « en cas de simple négligence de sa part ».

La question est toutefois de savoir ce qu’il faut entendre par « simple négligence ».

En l’occurrence, alors qu’une société avait été déclarée en liquidation judiciaire, il s’est avéré que le seul reproche qui pouvait être fait à ses dirigeants était de ne pas avoir déclaré l’état de cessation des paiements dans les 45 jours de sa survenance, comme cela est imposé par la loi. Ils avaient en fait attendu 1 an et demi.

Le liquidateur considérait que ceci constituait une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif, et demandait donc au tribunal que les dirigeants soient condamnés à prendre à leur charge le passif de leur société, comme ceci et prévu par l’article L.651-2 du code de commerce.

La cour d’appel

Dans un premier temps, le tribunal de commerce donne raison au liquidateur.

Mais la cour d‘appel rejette au contraire la demande du liquidateur en considérant que l’omission de déclaration de l’état de cessation des paiements du dirigeant ne constituait qu'une simple négligence de sa part, et que, en vertu de la nouvelle disposition rappelée ci-dessus, cette omission ne pouvait conduire à sa condamnation.

Mais le liquidateur se pourvoit en cassation.

Pour sa part, il considère en effet que l’omission de déclaration de cessation des paiements ne peut constituer une simple négligence du dirigeant que si celui-ci a pu ignorer l’état de cessation des paiements.

Pour étayer cet argument, il avance notamment le fait que le dirigeant avait mis en œuvre plusieurs actions pour tenter de sauver sa société (élaboration d’un plan de redressement, augmentation conséquente du capital, cession d’une partie du fonds de commerce), qu’il n’ignorait donc pas l’état de cessation des paiements, et que c’était donc sciemment qu’il n’avait pas déposé le bilan dans le délai de 45 jours.

La Cour de cassation

La cour de cassation rejette son pourvoi et condamne même le liquidateur aux dépens.

Selon elle en effet, la nouvelle disposition légale ne réduit nullement l'existence d'une « simple négligence » à l'hypothèse dans laquelle le dirigeant a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission.

Par suite, l’argument du liquidateur, selon lequel l’omission de la déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal ne peut constituer une simple négligence du dirigeant qu'à la condition que celui-ci ait pu ignorer cet état, n'est pas recevable.

Ceci constitue plutôt une bonne nouvelle pour tous les dirigeants de sociétés.

Néanmoins attention : en dépit de cette décision, il n’en reste pas moins que le dirigeant qui omet sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation, peut se voir sanctionné par une interdiction de gérer toute société (article L.653-8 du code de commerce).

Source : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 3 février 2021, 19-20.004, Publié au bulletin.