Jurisprudence : ce que peut faire un associé minoritaire lorsqu'il soupçonne des détournements de fonds de la part des associés majoritaires

  • Article publié le 7 nov. 2017

Outre la demande d'expertise de gestion, qui peut être faite par tout associé représentant au moins le dixième du capital, les associés minoritaires peuvent aussi, à bon droit, demander une « expertise préventive »...

L'affaire

Le conflit est né au sein d'une SARL qui a pour activité l’entretien et la réparation de véhicules automobiles, et dont le capital est détenu par cinq membres d'une même famille, mais dont deux d'entre eux constituent à eux seuls un groupe majoritaire.

En outre, d’autres sociétés sont gérées ou appartiennent à ce groupe majoritaire :

— une SCI, bailleur d’un immeuble loué par le SARL, et qui est contrôlée par le groupe majoritaire,

— une autre société commerciale, détenue à hauteur de 10% par la SARL et à 90 % par le groupe majoritaire ;

— et enfin une deuxième SCI, détenue à 100 % par le groupe majoritaire, propriétaire de la totalité des locaux pris à bail par la deuxième société commerciale, et qui est refacturée en sous location pour l’essentiel à la SARL.

Estimant que, compte tenu de ce montage et de divers flux qu'il a identifié, la SARL est victime de détournements de fonds de la part du groupe majoritaire, l'un des associés minoritaires envisage d'engager une action en responsabilité contre le Gérant.

Mais comme il n'a pas accès à la comptabilité et qu'il ne dispose donc pas de suffisamment de preuves à cet effet, il sollicite du juge des référés l'organisation d'une expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, lequel dispose que « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Il demande en outre que soit désigné un mandataire ad hoc pour représenter la société dans le cadre de cette expertise.

Les juges

Dans un premier temps, le juge des référés refuse la demande d’expertise et la désignation du mandataire ad hoc en indiquant que le recours à l’article 145 du code de procédure civile « ne doit pas servir à rechercher un fondement juridique pour une demande en justice pas sérieuse ».

Il condamne même le demandeur à verser à la SARL, à l'autre société et à l'un des associés du groupe majoritaire (son frère en l'occurrence) la somme de 1.000 € à chacun, afin de les dédommager des frais qu'ils ont supportés suite à cette demande.

Mais la Cour d'appel n'est pas de cet avis.

Selon elle en effet, il n’appartient pas au juge des référés saisi dans le cadre d’une mesure d’instruction 145 de se prononcer sur le caractère sérieux ou non de la demande, mais de vérifier seulement l’existence de motifs légitimes et d’indices précis justifiant la réalisation d’une mesure d’instruction.

Or en l'occurrence, l'associé minoritaire ne se contentait pas de mettre en cause la gestion de son frère, gérant de la SARL, de manière générale, mais identifiait plusieurs opérations et faits rendant plausibles ses interrogations quant à l’existence de flux et d’interactions ne respectant pas l’intérêt social de la SARL.

En conséquence, l’expertise sollicitée est accordée (et l'associé minoritaire est relevé du paiement des sommes qui lui étaient réclamées).

Par contre, le rejet par le juge des référés de la demande de désignation d’un mandataire ad hoc est confirmé par la Cour d'appel.

En effet, si l’article R 223-32 du code de commerce autorise cette désignation, ce ne peut être que dans le cas où la société a été régulièrement mise en cause par l’intermédiaire de ses représentants légaux. Or tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque aucune action n'a encore été engagée, les juges étant seulement saisis d’une demande d’expertise.

Source : CA Douai, ch. 2 sect. 1, 6 juill. 2017, n° 17/00527.