Jurisprudence : une SARL n’est pas une tontine

  • Article publié le 3 févr. 2020

Après le décès de leur associé en cours d’exercice, les deux associés restants se partagent sa rémunération et ses dividendes. Les héritiers n’ont pas apprécié…

L’affaire

Trois associés se partageaient à parts égales le capital ainsi que la cogérance d’une SARL. Après le décès de l’un d’eux, les deux autres ont augmenté de façon assez conséquente leur rémunération – celle-ci passant de 28.000 € à près de 105.000 € – ce qui, compte tenu du supplément de cotisations sociales également généré, a fait chuté le résultat net comptable de la société à 375 €, mettant ainsi fin à la politique habituelle de distribution d'importants dividendes qui s'élevaient à près de 165.000 € pour l'exercice précédent.

S’estimant victimes d’un abus de majorité, les héritiers de l’associé décédé ont assigné la société et ses deux cogérants en justice, afin de faire annuler I'assemblée générale ayant décidé d'augmenter leur rémunération et d’obtenir le remboursement des sommes indûment perçues selon eux.

Les tribunaux

Aussi bien le tribunal de commerce que la cour d’appel rejette la demande des héritiers.

Cette dernière retient en effet que, en dépit de l’augmentation conséquente de leur rémunération, la situation de l'entreprise n'a pas été mise en péril puisque, si le résultat net comptable de 375 € était plus faible qu'auparavant, le fonds de roulement restait important par rapport aux salaires versés.

En outre, le montant de ces salaires n'apparaissait pas excessif pour chacun des gérants au regard du chiffre d'affaires réalisé par l'entreprise l’année du décès (1,3 millions d’euros), et ceci d’autant plus que ce décès étant intervenu en cours d'année, ils ont dû assumer le même travail à deux pour le temps restant de l'année.

Enfin, les juges ont également considéré qu’il n'apparaissait pas anormal non plus de tenir compte de l'âge des gérants, créateurs de l'entreprise, ainsi que de leur départ prochain à la retraite pour fixer leur rémunération.

La Cour de cassation

La cour suprême casse et annule cet arrêt de la cour d’appel de Reims.

Selon elle en effet, la question qui devait être tranchée n’était pas de savoir si l’augmentation de la rémunération des deux cogérants était justifiée, mais si elle constituait un abus de majorité, c’est-à-dire si elle avait été décidée dans l'unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des minoritaires (en l'occurrence les héritiers).

Dès lors, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Tout n’est donc pas perdu pour les héritiers qui, au passage, perçoivent 3.000 € au titre des dépens, et voient leur affaire renvoyée devant la cour d’appel de Nancy pour être rejugée.

Source : Cour de cassation, chambre commerciale, audience publique du mercredi 15 janvier 2020
pourvoi n° 18-11580, non publié au bulletin.