Jurisprudence : quand la Gérante refuse la qualité d'associé à son mari

  • Article publié le 24 oct. 2023

Même si, selon la loi, chaque époux peut librement être associé et Gérant(e) d'une SARL, ceci n'empêche pas l'autre de lui réclamer des comptes le cas échéant...

L'affaire

Alors qu'ils sont en cours de divorce, Monsieur fait savoir à la société de transport dont son épouse est Gérante et associée à 50 %, par lettre recommandée avec AR, qu'il revendique la qualité d'associé pour la moitié des parts détenues par celle-ci et lui demande de lui communiquer les bilans, les comptes de résultats, les rapports de gestion et les procès-verbaux des assemblées générales ordinaires afférents aux trois exercices précédents.

Ce faisant, Monsieur semble tout à fait dans son droit puisque, dans les SARL (non dans les SAS), la loi prévoit que si un époux commun en biens acquiert ou souscrit des parts sociales avec des biens communs, l'autre époux a le droit de notifier à la société son intention d'être personnellement associé pour la moitié des parts souscrites (article 1832-2 du code civil).

De plus, cette notification peut intervenir à tout moment, que ce soit lors de l'acquisition des parts ou des années plus tard, tant qu'ils ne sont pas divorcés.

Mais Madame refuse d'accéder à cette demande et justifie ce refus devant les juges par les arguments suivants :

  • en premier lieu, rappelant qu'elle et son mari ont concomitamment constitué leur propre société, indépendamment l'un de l'autre, chacun étant seul associé de sa structure à hauteur de 50 % des parts sociales, et qu'ils l'ont gérée en toute autonomie pendant près de 27 ans, sans que l'un intervienne dans l'activité de l'autre, cela traduisait sans équivoque, selon elle, la volonté de son mari de renoncer définitivement à son droit de revendiquer la qualité d'associé dans sa propre société ;
  • en second lieu, elle considère que, du fait qu'elle n'a acquis ses parts que pour exercer sa profession, le droit pour son mari de revendiquer la qualité d'associé va à l'encontre des dispositions des articles 223 et 1421 du code civil, selon lesquels chaque époux peut librement exercer une profession et a seul le pouvoir d'accomplir les actes d'administration et de disposition nécessaires à celle-ci. Or, le fait que son époux devienne associé à hauteur de 25 % des parts, et réduise ainsi de moitié sa propre participation dans le capital, remettrait en cause, selon elle, l'autorisation administrative dont elle est titulaire pour exercer son activité, ce qui risquerait de l'empêcher d'exercer sa profession, voire d'entraîner une paralysie de sa société ;
  • enfin, elle considère également que seul peut revendiquer la qualité d'associé d'une société, celui qui est animé de "l'affectio societatis", c'est-à-dire de la volonté réelle et sérieuse de collaborer activement et de manière intéressée dans l'intérêt commun, avec les autres associés, à la réalisation de l'objet social. Or, compte tenu du contexte de divorce, le sentiment prévalent ici serait plutôt celui du "desaffectio societatis".

Les juges

Aussi bien la Cour d'appel que la Cour de cassation balaient tous les arguments de Madame d'un revers de main et donnent raison à Monsieur.

Pour les juges en effet, si le mari avait effectivement la possibilité de renoncer à son droit de revendiquer sa qualité d'associé, cette renonciation ne pouvait être qu'expresse et non tacite. Or, il ne l'a jamais faite.

Par ailleurs, selon la cour d'appel :

  • l'autonomie professionnelle de Madame, au sein de la société de transports, n'était nullement remise en cause par la revendication par son mari de la qualité d'associé de la société, Madame restant associée à hauteur d'un quart du capital ;
  • de plus, Madame ne démontrait pas que le fait de ne plus être associée qu'à hauteur d'un quart du capital ferait obstacle à l'exercice de l'activité. En particulier, elle ne démontrait pas que ceci remettrait en cause l'autorisation administrative dont elle était titulaire ;
  • enfin, le risque de paralysie de la société, qui n'était pas démontré non plus dès lors que la part de Monsieur ne représentait qu'un quart du capital, ne saurait en lui-même faire échec à l'exercice de la faculté offerte à l'époux de revendiquer la qualité d'associé prévue par la loi.

La cour de cassation ajoute même à ce sujet que, en tout état de cause, une société n'est pas recevable à se prévaloir de l'atteinte que la revendication, par Monsieur, de la qualité d'associé, serait susceptible de porter au droit de Madame d'exercer une telle profession.

Enfin pour ce qui concerne "l'affectio societatis", la cour de cassation retient que celui-ci n'est nullement une condition requise par la loi pour la revendication, par un époux, de la qualité d'associé sur le fondement de l'article 1832-2 du code civil. L'affectio societatis n'est nécessaire en effet que chez les fondateurs d'une société.

Source : Cour de cassation - chambre commerciale, pourvoi n° 19-26.203 du 21 septembre 2022, publié au bulletin.