Jurisprudence : selon la Justice - mais pas selon l'URSSAF - l’abattement de 40 % s’applique aussi pour le calcul des cotisations sur dividendes

  • Article publié le 1 déc. 2020

L'ex RSI n'avait jamais rien voulu entendre à ce sujet, mais les juges viennent de lui donner tort. Selon eux en effet, l'abattement fiscal de 40 % sur les dividendes devrait aussi s'appliquer pour le calcul des cotisations sur ces mêmes dividendes... Hélas, l'URSSAF a décidé de ne pas appliquer cette décision.

Le litige

Selon l’article L.131-6 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur en 2016 (date du litige), les cotisations sociales des travailleurs indépendants non agricoles sont assises sur le montant de leur revenu retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu (sous réserve de diverses réintégrations sans incidences ici).

Sachant par conséquent que le montant imposable des dividendes était déterminé après déduction d’un abattement de 40 % (la flat tax n’existait pas encore à l’époque), il semble résulter en toute logique de cet article que cet abattement doit aussi s’appliquer pour le calcul des cotisations sur dividendes.

Mais comme le RSI l’a toujours fait depuis le début, l'URSSAF refuse d'appliquer cet abattement au motif que, selon elle, la logique de l’article L.131-6 du code de la sécurité sociale est d’intégrer dans l’assiette des travailleurs indépendants l’ensemble des sommes qui constituent pour eux un revenu et que cet article contient une disposition d’ordre général visant à neutraliser les règles fiscales.

Elle avait d'ailleurs été confortée dans cette position par un jugement de la Cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 6 novembre 2019, n°16/08587), qui lui avait donné raison en déclarant que que cet abattement de 40% n’était pas applicable en matière de cotisations sociales.

Mais cette fois-ci, c'est une décision inverse qui vient d'être prise par le tribunal judiciaire de Melun (Pôle social).

La position du tribunal judiciaire de Melun (extraits)

Le Tribunal rappelle d’abord les textes législatifs

  • Aux termes de l’article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à l’espèce, les cotisations d’assurance maladie et maternité, d’allocations familiales et d’assurance vieillesse des travailleurs indépendants non agricoles […] sont assises sur leur revenu d’activité non salarié.
  • Ce revenu est celui retenu pour le calcul de l’impôt sur le revenu, sans qu’il soit tenu compte des plus-values et moins-values professionnelles à long terme, des reports déficitaires, des exonérations, du coefficient de 1,25 et des déductions à effectuer du chef des frais professionnels et des frais, droits et intérêts d’emprunt […].
  • Est également prise en compte, dans les conditions prévues au paragraphe précédent, la part des revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du code général des impôts [ndlr : dividendes notamment] perçus par le travailleur non salarié non agricole, son conjoint ou partenaire de PACS ou leurs enfants mineurs non émancipés […] qui est supérieure à 10 % du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte courant détenus en toute propriété ou en usufruit par ces mêmes personnes.

Par ailleurs

  • L’article L.158 3 2° du CGI dispose que les dividendes distribués par les sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés […], sont réduits, pour le calcul de l’impôt sur le revenu, d’un abattement égal à 40 % de leur montant brut perçu.

Sa conclusion

  • Il résulte du premier de ces textes que le revenu à prendre en compte est celui retenu pour le calcul de l’impôt sur le revenu. La précision « sans qu’il soit tenu compte des plus-values et moins-values professionnelles à long terme, des reports déficitaires, des exonérations, du coefficient de 1,25 et des déductions à effectuer du chef des frais professionnels et des frais, droits et intérêts d’emprunt […] » ne constitue pas une disposition d’ordre général visant à neutraliser les règles fiscales mais une énumération des règles fiscales dont il ne doit pas être tenu compte.
  • Un abattement fiscal, qui conduit à diminuer l’assiette d’imposition, se distingue d’une exonération qui conduit à dispenser d’imposition.
  • Le code général des impôts précise que les revenus distribués par les sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés, sont réduits « pour le calcul de l’impôt sur le revenu, d’un abattement égal à 40 % de leur montant brut perçu ».
  • Dès lors que l’article 131-6 du code de la sécurité sociale fait expressément référence au revenu retenu pour le calcul de l’impôt sur le revenu, il convient d’appliquer l’abattement de 40% prévu « pour le calcul de l’impôt sur le revenu ».

Les conséquences de ce jugement

Les conséquences de ce jugement peuvent s'avérer très importantes pour tous les Gérants majoritaires d'une SARL à l'I.S. qui ont perçu des dividendes de leur société.

Dès lors en effet que, bien qu’elle ait été condamnée à rembourser au demandeur le trop versé de cotisations, l’URSSAF n’a pas souhaité former appel de ce jugement. Celui-ci est donc devenu définitif et constitue désormais une décision de jurisprudence à laquelle on peut s'appuyer pour réclamer un éventuel trop versé.

Néanmoins, attention : l'URSSAF n'est pas obligée d'appliquer cette décision. Il est rappelé en effet qu'une décision d'un tribunal, surtout en première instance, n'a pas nécessairement force de loi. A fortiori dès lors qu'une précédente décision, d'une instance supérieure (Cour d'appel de Rennes - voir ci-dessus), contredit celle-ci.

Par ailleurs, si cette décision de justice vaut pour les dividendes perçus jusqu'en 2017, il n'est pas encore certain qu'elle vaut également pour les dividendes perçus depuis cette date. D'une part parce que, à ce jour, l'URSSAF n'a toujours pas fait savoir si elle entendait appliquer cette jurisprudence ou pas (pour le moment elle n'a pas officiellement modifié sa doctrine), d'autre part parce que l’article L.131-6 du code de la sécurité sociale, sur lequel est basée la décision du tribunal, a été réécrit à plusieurs reprises depuis le 1er janvier 2017.

En outre, la demande de remboursement éventuelle ne peut porter que sur les seules cotisations dont l'assiette est définie par l'article L.131-6, à savoir les cotisations d'assurance maladie et maternité, d'allocations familiales, d'assurance invalidité-décès et d'assurance vieillesse du régime non agricole.

S'agissant par contre de la CSG et de la CRDS, leur assiette est définie par un autre article, à savoir l'article L.136-6, et celui-ci prévoit expressément que l'abattement de 40 % ne s'applique pas pour leur calcul.

Enfin, soulignons également qu’une demande de remboursement d’un trop versé de cotisations sociales se prescrit par 3 ans à compter de la date à laquelle lesdites cotisations ont été acquittées (Art. L. 243-6 du code de la Sécurité sociale).

En conséquence, bien que ces cotisations existent depuis 2010, aucune réclamation n’est possible au titre de celles versées avant 2017. Et pour celles versées au cours de cette année 2017, le délai de réclamation expire le 31 décembre prochain.

La procédure à suivre pour demander le remboursement de cotisations sur vos dividendes

Votre demande de remboursement des cotisations indûment versées doit être envoyée au Directeur de l'URSSAF localement compétente par lettre recommandée avec AR (voir notre modèle de lettre).

Rappelons que, en dépit du jugement ci-dessus, l’URSSAF n’est pas tenue de répondre favorablement à votre demande. Elle n'est même pas tenue de vous répondre du tout.

En cas de refus donc, ou en cas d’absence de réponse dans les 2 mois (ce qui vaut refus), attendez-vous à un long "parcours du combattant". Il faudra en effet suivre la procédure contentieuse habituelle, à savoir :

  • saisine de la Commission de recours amiable (CRA), dans le délai maximal de 2 mois à compter de la notification du refus (ou à compter de la fin du délai de deux mois sans réponse) ;
  • puis, en cas de refus de cette commission, ou en l'absence de réponse de sa part dans les deux mois, il vous faudra à votre tour saisir le pôle social du Tribunal judiciaire, dans le délai maximal de 2 mois, afin de soumettre votre dossier aux juges.

Et même en allant jusque là, vous n'êtes pas certain(e) d'obtenir gain de cause...

Pour le moment, l'URSSAF refuse toujours d'appliquer la décision du tribunal judiciaire de Melun, et justifie ce refus en opposant à cette décision de première instance l'arrêt de la cour d'appel de Rennes (6 novembre 2019, 9e chambre sécurité sociale, n° 16/08587), qui portait sur la même problématique et qui avait, au contraire de la précédente, tranché en sa faveur.


Source : Tribunal judiciaire de Melun (Pôle social) ; jugement n° 19-00262 du 12 mai 2020.