Un Gérant majoritaire de SARL peut-il approuver seul sa rémunération sans commettre un abus de majorité ?

  • Article publié le 20 oct. 2011

Un Gérant associé peut prendre part au vote sur sa rémunération, mais qu'en est-il lorsqu'il s'agit d'un gérant majoritaire ? Ne risque-t-il pas, ce faisant, de commettre un abus de majorité ? La Cour de cassation vient de répondre à ces questions...

Par un arrêt mémorable du 4 mai 2010, la Cour de cassation a mis fin à une vive polémique qui perdurait depuis des années.  Les juges ont considéré en effet  que la rémunération du Gérant ne procède pas d'une convention réglementée, et que celui-ci peut donc parfaitement prendre part au vote la concernant.

Or, la rémunération du Gérant étant dans la plupart des cas approuvée par une décision des associés représentant au moins 50 % des parts, cela permet à tout Gérant majoritaire de s'octroyer royalement la rémunération de son choix.

Ceci n'est pas toujours du goût des autres associés... cependant, les juges persistent et signent ! Une nouvelle décision de la haute juridiction, en date du 4 octobre dernier, vient en effet d'aller exactement dans ce même sens. Toutefois, l'affaire était quelque peu différente cette fois-ci, et riche de nouveaux enseignements...

L'affaire

Il se trouve en effet que si les juges ont une nouvelle fois été saisis à ce sujet, ce n'est pas tant parce que le Gérant, qui possédait 51 % des parts, avait participé au vote sur sa rémunération, mais plutôt parce que, par le fait, il l'avait approuvée seul sachant que la société ne comptait que deux associés et que le deuxième avait refusé de l'approuver. En outre, cet autre associé considérait également que, en raison de son mode de calcul, la rémunération constituait un abus de majorité.

En l'occurrence, le Gérant avait décidé que sa rémunération serait égale à 50 % de l'excédent brut d'exploitation (EBE) de la société, ce qui revenait à priver le deuxième associé d'une large part du gâteau constitué par les dividendes.

D'où la décision de celui-ci de demander judiciairement la nullité de la délibération de l'assemblée fixant la rémunération du Gérant, ainsi que la condamnation de celui-ci à payer des dommages et intérêts.

Les tribunaux

Le tribunal de commerce avait déjà donné raison à l'associé minoritaire, condamnant même le Gérant à lui verser 5.000 € de dommages-intérêts.

La Cour d'appel saisie, même décision. Les juges ont une nouvelle fois donné raison sur toute la ligne à l'associé minoritaire, allant même jusqu'à doubler le montant des dommages-intérêts (10.000 € au lieu de 5.000 €). Selon eux en effet, le fait que la rémunération ait été fixée par le seul porteur de parts qui y avait un intérêt personnel constituait bel et bien un abus de majorité.

De plus, ils ont considéré que cette rémunération était contraire à l'intérêt social dès lors qu'elle était composée pour partie d'éléments destinés à la préservation du patrimoine social, tels que les amortissements et les provisions. Enfin, elle provoquait également, toujours par son mode de calcul,  une rupture dans l’égalité des droits des porteurs à la répartition des bénéfices.

L'arrêt de la Cour de cassation

Hélas pour l'associé minoritaire, la Cour de cassation a doublement censuré ces décisions de la Cour d'appel.

En premier lieu, les juges de la Cour suprême confirment que « la détermination de la rémunération du gérant d'une société à responsabilité limitée par l'assemblée des associés ne procède pas d'une convention, ce dont il résulte que le gérant associé, fût-il majoritaire, peut prendre part au vote ».

En second lieu, s'agissant de l'abus de majorité, les juges ont rappelé les deux conditions qui le caractérisent à savoir :

  • la décision doit être contraire à l'intérêt social ;
  • et elle doit avoir été prise dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité.

Or, en l'occurrence, ni l'un ni l'autre de ces éléments n'étaient caractérisés.

Selon l'arrêt en effet, d'une part l'abus de majorité ne peut être déduit de la seule participation du gérant majoritaire au vote de la délibération portant sur sa rémunération. D'autre part, le seul fait que sa rémunération soit indexée sur l'excédent brut d'exploitation de la société, ne permet pas d'affirmer qu'elle porte atteinte à la survie de celle-ci.

Enfin, ce mode de calcul n'empêchait nullement une répartition éventuelle des bénéfices restant entre les associés, et il n'était pas démontré que la rémunération du Gérant comportait un caractère abusif. Dès lors, les droits de l'associé minoritaire étaient préservés (lequel, pour finir, a été condamnés aux dépens).

Source : Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt n°10-23398 du 4 octobre 2011.

 

Même si, par le fait, un Gérant majoritaire peut fixer seul sa rémunération, il n'en reste pas moins que celle-ci doit être soumise au vote de l'assemblée générale des associés, et que son montant (ou son mode de calcul), fût-il voté par le seul Gérant, doit faire l'objet d'un procès-verbal dûment établi et retranscrit dans le registre des procès-verbaux de la société.
A défaut de respecter cette procédure, les associés seraient en droit de poursuivre le Gérant pour abus de biens sociaux.
En outre, la rémunération ne serait pas déductible fiscalement des résultats de la société, ce qui exposerait à d'importants risques de redressements fiscaux, tant pour la société que pour les associés si ceux-ci ont perçu des dividendes.

Nous vous invitons à cet égard à vous reporter à notre dossier en ligne La rémunération des Gérants de Sarl, plus particulièrement aux fiches suivantes :

- Comment la rémunération du Gérant doit-elle être fixée ?
- Fixe ou pourcentage, que faut-il choisir ?
- A quel montant avez-vous droit ?
- Les risques d'une rémunération trop élevée

Vous trouverez également un modèle de procès-verbal d'assemblée pour la rémunération du Gérant sur la fiche suivante :

- Modèle de PV d'assemblée sur la rémunération du Gérant