Jurisprudence : même entre membres d’une même famille, les cessions de parts pour 1 euro symbolique sont risquées
- Article publié le 15 sept. 2021
Pour le fisc, c’est simple : cession de part à 1 euro = suspicion de donation déguisée = abus de droit fiscal = 80 % de pénalités !
L’affaire
Le dirigeant d’un groupe de 6 sociétés rachète pour 15 € (1 euro par part) les parts que son père et ses deux frères détenaient dans celles-ci.
Le but de cette opération était de mettre un terme, selon lui, à la mésentente existant entre les associés et d'assurer la continuité de l'entreprise familiale.
Les actes de cessions sont régulièrement établis et enregistrés aux impôts, et le prix est effectivement payé.
Mais à l’occasion d’un contrôle, l'administration fiscale relève un écart substantiel entre le prix de vente des parts sociales de ces sociétés et leurs valeurs réelles. Une récente étude d'expert les avait en effet valorisées à près de 760.000 €.
Compte tenu de cette différence de prix (15 € au lieu de 760.000 €), elle considère que les cessions à 1 € constituent des donations déguisées, procède à un redressement et, considérant également qu’il s’agit d’un abus de droit de fiscal, assortit celui-ci d’une pénalité au taux de 80 % (outre les intérêts de retard).
Le comité de l'abus de droit fiscal
Conformément aux dispositions de l’article L64 du livre des procédures fiscales, tout contribuable qui conteste un redressement fondé sur la notion d’abus de droit fiscal est en droit de solliciter l’avis du comité de l'abus de droit fiscal, le but étant au moins d'éviter les 80 % de pénalité.
C’est ce que fait notre dirigeant et à raison puisque, c'est la bonne surprise pour lui, ledit comité considère en l’occurrence que la procédure de l'abus de droit fiscal ne peut pas être mise en œuvre par l’Administration.
Il rappelle en effet que, pour qu’un acte soit qualifié d’« abus de droit fiscal », il faut qu’il aie un caractère fictif, ou qu’il soit inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si cet acte n’avait pas été réalisé, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
Or dans cette affaire, l’acte n’était pas fictif puisque les cessions ont bien eu lieu, et il était inspiré par un autre motif que celui d’éluder l’impôt, en l’occurrence la volonté de sauver l’entreprise des risques de la mésentente entre les associés.
Mais rien à faire, l’Administration n’étant pas obligée de suivre l’avis du comité, elle maintient sa position et notre dirigeant n'a donc plus d'autre solution que de demander à la justice de faire annuler le redressement.
Les juges
Aussi bien la Cour d’appel que la Cour de cassation donne raison à l’Administration.
Selon les juges en effet :
- il est clairement démontré que les cessions de parts sociales consenties chacune au prix de 1 euro ne prennent pas en compte la valeur réelle de ces parts ;
- par ailleurs, même si les cessions sont intervenues dans le but de restructurer le groupe de sociétés dans le contexte d'une mésentente familiale et du désintérêt manifeste de ses frères pour la conduite de ce groupe, ces éléments ne sont pas de nature à exclure l'intention libérale des cédants et traduisent, au contraire, leur volonté manifeste de favoriser le dirigeant au détriment d'autres membres de la famille ;
- en outre, les juges relèvent également que les cédants eux-mêmes n'ignoraient pas la discordance manifeste entre le prix de vente des parts sociales et leur valeur vénale. Ils avaient donc conscience qu’ils perdaient de l’argent, ce qui confirme la thèse des donations ;
- enfin, en présentant ces donations comme des actes de cession à titre onéreux, alors qu'il s'agissait selon les juges de ventes à vil prix, et en procédant tardivement à l'enregistrement des actes de cessions, le dirigeant a dissimulé la véritable nature juridique des mutations ainsi opérées.
C’est donc à bon droit, selon la cour de cassation, que la cour d’appel a pu déduire que les cessions de parts sociales des sociétés étaient fictives.
En conséquence, l'une des deux conditions de l'article L64 étant remplies (le caractère fictif de l'opération), c’est également à bon droit que l'administration fiscale a pu mettre en oeuvre la procédure de l'abus de droit fiscal, peu important, dans ces conditions, que l'opération ait présenté un intérêt familial et patrimonial.