Jurisprudence : le défaut de paiement de dettes ne constitue pas toujours une faute de gestion

  • Article publié le 5 févr. 2018

Selon la loi, le Gérant peut être condamné à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif de sa société lorsqu’il a commis une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance. Cependant, encore faut-il s'entendre sur la notion de faute de gestion.

L'affaire

L'affaire est malheureusement classique : le Gérant dépose le bilan, sa société est mise en liquidation pour insuffisance d'actif (c'est-à-dire qu'elle ne peut pas faire face à ses dettes même une fois qu'elle a vendu tous ses biens), le liquidateur se retourne contre le Gérant estimant qu'il a commis des fautes de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif.

On ne le répétera jamais assez, il s'agit là de l'un des plus graves dangers qui guettent les Gérants de SARL.

En l'occurrence le liquidateur – approuvé en cela par les juges de la Cour d'appel - arguait des différents faits suivants :

  • la comptabilité n'avait pas été tenue durant tout un exercice, le comptable ayant cessé ses interventions faute de paiement de ses factures,
  • le Gérant a poursuivi l'exploitation de la société alors que celle-ci était déficitaire, et ce malgré un rapport spécial d'alerte du commissaire aux comptes,
  • les cotisations URSSAF n'ont pas été payées dans leur intégralité,
  • les charges fiscales et sociales n'ont pas été déclarées régulièrement ce qui a entraîné des taxations d'office et un redressement de 1,3 million d'euros, en raison notamment de la non déclaration et du non-paiement de la TVA,
  • des loyers impayés ont entraîné la résiliation du bail relatif à un hangar et à un terrain sur lequel était stocké du matériel,
  • enfin, le Gérant n'a pas déclaré la cessation des paiements de la société dans le délai de 45 jours, il n'a pas procédé à la déclaration de la perte de la moitié du capital social, et n'a pas tenu l'assemblée générale annuelle dans les délais requis.

La Cour de cassation

Selon la loi, un Gérant ne peut être condamné à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif de sa société que lorsqu’ils a commis une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance (article L.651-2 de code de commerce).

Le problème est que la faute de gestion ne fait l’objet d’aucune définition précise par la loi. Elle est appréciée par les tribunaux au cas par cas.

Or sans cette affaire, la Cour de cassation a considéré qu'aucun des reproches faits à ce Gérant ne constituait une faute de gestion :

  • s'agissant en effet de l'absence de comptabilité, les juges constatent que celle-ci était la conséquence de la cessation de ses interventions par le comptable, cessation due au non paiement de ses factures, non paiement lui-même dû à des difficultés économiques rencontrée par l'entreprise en raison de la conjoncture délicate dans le secteur du bâtiment. Cette absence de comptabilité ne résultait donc pas d'une décision volontaire du Gérant ;
  • de même ne constitue pas une faute de gestion, toujours selon les juges, le fait pour un dirigeant confronté aux difficultés financières de l'entreprise résultant d'une conjoncture économique délicate de ne pas être en mesure de régler intégralement des cotisations URSSAF ou ses loyers ; selon la cour, le défaut de paiement de dettes ne constitue pas, en soi, une faute de gestion ;
  • enfin, s'agissant de la poursuite d'une exploitation déficitaire et de la déclaration tardive de la cessation des paiements, la cour constate que la société avait déjà l'objet d'une procédure de sauvegarde trois ans auparavant et qu'à cette date elle n'était déjà plus viable et qu'elle ne pouvait se redresser. La décision de continuation prise alors était donc anormale et tous les griefs de gestion invoqués à son encontre ne sont que la conséquence d'une mauvaise appréciation de la situation de la société par la juridiction qui a rendu cette décision, alors même que la société était assistée par des professionnels.

Notons que ce Gérant l'a échappé belle puisque la somme qui devait être mise à sa charge s'élevait à 800.000 €.

Néanmoins, notons aussi que l'histoire ne finit pas toujours aussi bien pour de nombreux Gérants. En raison du fait qu'elle ne fait l’objet d’aucune définition précise par la loi - elle est appréciée au cas par cas par les tribunaux - la faute de gestion est une véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des Gérants de Sarl, et ses conséquences peuvent s’avérer dramatiques pour leur situation patrimoniale personnelle. Même en dehors de toute manœuvre frauduleuse, il est de nombreuses situations dans lesquelles une telle faute peut être commise.

Pour des exemples et se protéger au mieux contre ce danger, voir notre fiche pratique La faute de gestion : le principal danger qui guette les Gérants.

Source : Cour de cassation, Chambre commerciale, 13 décembre 2017, pourvoi n° 16-20.662.