Jurisprudence : un Gérant peut être révoqué sans indemnité pour défaut de surveillance de son fondé de pouvoir

  • Article publié le 15 mars 2022

Pour tout dirigeant de société, agir ou ne pas agir, cela peut dans les deux cas constituer une faute de gestion.

L'affaire

Le Gérant d'une EURL exploitant une supérette avait engagé un "responsable du développement", chargé de rechercher des opportunités d'ouverture de nouveaux magasins et d'assurer le suivi de ces ouvertures.

Tout se passe bien pendant plusieurs années, ce collaborateur donnant entière satisfaction, au point qu'il bénéficie d'une délégation de signature de la part du Gérant et de plusieurs délégations de pouvoirs.

Jusqu'à ce qu'on découvre un jour que ce collaborateur "bien sous tous rapports" s'est rendu coupable de nombreuses malversations, dont des détournements de fonds, commises au préjudice de la société.

Il est donc licencié pour faute lourde, mais dans le même temps, le Gérant fait lui aussi l'objet d'une révocation par l'associé unique sans aucune indemnité.

Considérant que cette révocation était intervenue sans juste motif, il assigne la société en indemnisation de ses préjudices.

Les juges

Dans un premier temps, les juges lui donnent raison et condamnent la société à lui verser un peu plus de 250.000 € à titre d'indemnité contractuelle en réparation du préjudice subi du fait d'une révocation mal fondée.

Les juges ont considéré en effet que l'auteur des malversations ayant utilisé des stratagèmes "très élaborés", le Gérant n'avait commis aucune faute de gestion en ne décelant pas les malversations ainsi commises.

La cour de cassation

Malheureusement pour lui, les juges de la cour suprême cassent et annulent cet arrêt favorable au Gérant.

Ils considèrent en effet que, eu égard notamment à l'importance des détournements réalisés (lesquels représentaient quelque 2,5 millions d'euros), et à la durée de la fraude (les agissements s'étant déroulés sur environ cinq ans), la cour aurait dû recherché si le Gérant n'avait pas commis une faute de gestion en s'abstenant de mettre en place un système de contrôle permettant de vérifier la régularité des pièces correspondant aux opérations les plus importantes.

Moralité : si la faute de gestion résulte le plus souvent d'une action préjudiciable du Gérant, on voit une nouvelle fois dans cette décision qu'elle peut aussi résulter d'une simple inaction, ce qui fait que l'éventail des fautes pouvant être commises par un Gérant dans l'exercice de ses focntions peut s'avérer très vaste.

Voici à cet égard d'autres exemples de fautes relevées dans la jurisprudence, alors même qu’elles ne révélaient a priori aucune véritable intention de nuire de la part de leur auteur :

  • le défaut de surveillance d’un cogérant chargé de la gestion financière de la société ;
  • l’absence de réaction du Gérant face à un manque de capitaux propres de la société (notamment le défaut de demande de libération des apports en numéraire des associés  – voir à cet égard la fiche : « Comment obtenir la libération du solde des apports des associés » –, ou le défaut de convocation d’une assemblée générale pour procéder à une augmentation de capital) ;
  • le fait de s’obstiner à continuer d’exercer ses fonctions malgré un état de santé déficient et incompatible avec le bon exercice de celles-ci ;
  • le fait de s’obstiner à poursuivre une exploitation déficitaire ;
  • le fait de ne pas déclarer suffisamment tôt l’état de cessation des paiements de la société, et de réduire ainsi ses chances de redressement ;
  • le fait de continuer à percevoir sa rémunération de Gérant, alors même que la trésorerie de la société ne lui permet plus de faire face à ses autres dettes immédiates.
Source : Cour de cassation - Chambre commerciale ; pourvoi n° 20-14.476, arrêt du 09 février 2022.