Jurisprudence : même s'il n'est pas le Gérant, un salarié peut engager la société si son interlocuteur croit qu'il l'est

  • Article publié le 22 mars 2022

C'est ce qu'on appelle le "mandat apparent". Il génère de nombreux litiges dans les transactions commerciales passées par un employé, et même par les dirigeants de sociétés parfois...

L'affaire

Une SARL intervient en tant qu'apporteur d'affaires dans une opération d'achat d'un terrain à construire par une société de promotion immobilière et doit percevoir à ce titre une rémunération de 92.500 €. Cependant, la société de promotion immobilière ayant dû verser une somme de 60.000 € au voisin du terrain afin de le dissuader de déposer un recours contre le permis de construire, elle demande à la SARL qui a apporté l'affaire de prendre la moitié de cette somme à sa charge, soit 30.000 €, ce que la SARL semble avoir accepté, comme l'attestent différents échanges de courriels.

Mais au final, elle refuse de prendre cette somme à sa charge, arguant du fait que seul le gérant de la SARL est investi du pouvoir d'agir au nom de la personne morale à l'égard des tiers, alors que, en l'occurrence, son prétendu engagement avait été pris, non pas par le Gérant, mais par un salarié de la société, non officiellement mandaté à cet effet.

La société de promotion immobilière l'assigne alors en paiement, considérant que, en application de la théorie du mandat apparent, elle avait pu légitimement croire que le salarié avait le pouvoir de prendre la décision en question, des seuls faits que :

  • il a toujours été son unique interlocuteur concernant la question de la rémunération dans tous les échanges de courriels ;
  • qu'il terminait tous ses courriels par la mention "pour la SARL ..." ;
  • qu'il employait le terme "nous" pour désigner cette société ;
  • et que tous les courriels étaient envoyés à l'adresse courriel de la SARL, et non à l'adresse personnelle du salarié.

Les juges

Aussi bien la cour d'appel que la cour de cassation condamnent la SARL à payer.

Les juges considèrent en effet que :

  • d'une part, le seul fait que la nomination et la cessation des fonctions de gérant de SARL soient soumises à des règles de publicité légale ne suffit pas à exclure qu'une telle société puisse être engagée sur le fondement d'un simple mandat apparent de l'un de ses salariés ;
  • d'autre part, il ne pouvait être reproché à la société de promotion immobilière de ne pas avoir vérifié les pouvoirs du salarié, compte tenu des échanges d'emails signés au nom de la SARL.

Ceci étant, précisons qu'il reste préférable dans tous les cas de s'assurer de la réalité des pouvoirs de son interlocuteur. Car comme il a également été jugé dans une autre affaire, le mandat apparent ne peut être retenu que si celui qui s'en prévaut est en mesure d’établir des circonstances extérieures aux seules allégations du prétendu mandataire, propres à justifier la croyance qu’il invoque (Cass. com., 23 mars 1993, n° 91-12762).

Source : Cour de cassation, arrêt du 9 mars 2022, pourvoi n° 19-25.704, non publié au bulletin.